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[Critique] Ta deuxième vie commence… de Raphaëlle Giordano

Ta deuxième vie commence quand tu comprends que tu n'en as qu'une

Ce roman n’en est pas un, c’est un livre de développement personnel romancé. Un peu comme si le livre te disait « voilà ce qu’il va se passer si tu suis ces conseils, tes yeux vont briller ». Mais cette lecture n’a pas toujours été une partie de plaisir…

Camille a 38 ans passé, et sur le papier tout est beau : elle a un mari, un enfant, un appartement parisien et un boulot. Sur le papier, car si on gratte…

Son boulot l’ennuie et son mari ne lui accorde que peu d’importance. Un jour, alors qu’elle est envoyé voir un client au fin fond de l’Ile de France, elle a un léger accident de voiture. Elle se réfugie dans la première maison venue. Elle tombe alors sur Claude, un routinologue. Dans son cabinet, il promet de sortir quiconque de sa zone de confort pour réaliser ses rêves, du moment qu’il en a la volonté.

Au fil du livre, on voit Camille se remettre en question, changer, se trouver et s’épanouir. Camille est enfin elle-même.

« Vous souffrez probablement d’une forme de routinite aigüe. Vous savez la routinite paraît un mal bénin à première vue, mais elle peut causer de véritables dégâts sur la population: entraîner des épidémies de sinistrose, des tsunamis de vague à l’âme, des vents d’humeur noire catastrophiques. Bientôt le sourire sera en voie de disparition ! »

Si ce livre est plein de bons sentiments, il est mal amené. Je m’explique.

C’est un livre très facile à lire, on peut le concéder. Mais on a l’impression d’un « trop », notamment lorsque la protagoniste décrit ses sentiments. On a un peu l’impression de lire un roman à l’eau de rose où tout est surjoué. Et pourtant je suis hypersensible, donc les montagnes russe émotionnelles, ça me connaît. Mais là, ça sonne faux.

L’émancipation et l’évolution de Camille aussi est trop « facile »:

  • Elle trouve son local, ok elle essuie quelques refus de la banque, mais elle trouve des partenaires prêts à travailler gratuitement pour elle, le temps que son projet fonctionne ? Qui, de nos jours, et encore plus à Paris, pourrait faire ça ? D’ailleurs, elle a pas pensé à se faire aider par un organisme type bpifrance ? (Bon ok, déformation professionnelle, je travaille dans le financement de l’innovation)
  • Le jour de l’inauguration de sa boutique, Jean-Paul Gaultier en personne débarque à l’improviste accompagné d’une horde de journalistes, lui promettant une bonne publicité. Non Camille n’est pas Meghan Markle. Ce n’est pas réaliste…

Et ce ne sont que les exemples les plus flagrant. Je comprends que l’autrice cherche à faire passer un message mais là on dirait un « éléphant dans un magasin de porcelaine ».

« Crépitements de flashs, de cris… Telle la mer Rouge de la Bible, le flot de visiteurs s’ouvrit petit à petit jusqu’à moi, offrant le passage à une stupéfiante apparition: Jean-Paul Gaultier en personne ! »

J’ai fait des bonds à la lecture de certains passages. Ok, le livre est sorti en 2015, mais quand même…

Au début du livre, Camille travaille en 4/5ème, a un enfant pré-ado et un mari qui ne fait rien sous prétexte que son travail est plus important, passe sa vie sur son portable et ne la regarde plus parce qu’elle a pris 4 kilos. Y a rien qui va.

Tout au long du livre, j’ai attendu que Camille largue son goujat de bas étage de mari, qui aurait mérité un aller simple chez maman. Bah non. Que nenni. Camille se remet en question, et décide de re-séduire son mari. Et en plus, elle galère car Monsieur est blessé dans son amour propre. Bah oui, faut le comprendre, il reconnaît plus sa femme qui, en s’affirmant, n’a plus de temps pour lui. Le pauvre chéri. #ironie. On en parle de l’image bien ancrée de la femme dépendante qui s’oublie pour son mec ?

Autre chose qui m’a dérangé: la charge mentale. A un moment, pour mieux s’organiser, Camille fait ses plats à l’avance. Et comme elle a besoin d’aide, elle entraîne son fils de 10 ans avec elle, et ils cuisinent ensemble dans une scène digne d’un vieux Disney. Mais allô ? Il est manchot le mari ? Il a oublié le chemin de la cuisine ? Il sait pas déchiffrer une recette ni où se trouve la plaquette de beurre ?

Mais l’autrice nous a gardé le meilleur pour la fin…

A la fin du livre, l’honneur est sauf parce que Sébastien (c’est son petit prénom) fait une surprise à Camille, en lui payant une journée au spa et un restaurant gastronomique. Bah oui.. on fait un effort sur une journée histoire de calmer les ardeurs de Madame, mais il faudrait pas voir à se remettre en question sur du long terme surtout ! Tout.va.bien. (non)

Vous l’aurez compris, le schéma patriarcal, à travers le personnage de Sébastien, m’a insupporté. En 2015, dans un bouquin sur le développement personnel, on en est encore à demander à la femme de prendre tout en charge et de se suradapter pour ne pas brusquer l’ego du chef de famille.

Toujours au début du livre, Camille est complexé par ce qu’elle a 4 kilos en trop. Problème numéro 1, le dictat de la minceur avec pour message: « Les rondeurs ne sont pas jolies ».

Elle réussit à les perdre et est flattée parce qu’elle se fait arrêter et siffler dans la rue. Problème numéro 2, la banalisation du harcèlement de rue. Non ce n’est pas flatteur de se faire traiter comme un bout de viande par de parfaits inconnus.

C’est quand même dommage et dommageable que pour un livre traitant de développement personnel (donc d’introspection de soi), Camille accorde autant d’importance au regard des autres, et en particulier ceux des hommes. Que vient faire l’aval des hommes dans le changement physique de Camille ?

J’aurais limite envie d’écrire que ce livre, c’est un peu le « 50 nuances de Grey » du développement personnel… Mais, je n’ai ni lu ni vu « 50 nuances de Grey ». Et j’ai pas envie. Et je suis pas venue ici pour souffrir.

La relation entre Claude et Camille est malaisante. Claude a clairement l’ascendant. Il donne ses RDV à l’arrache, sans lui demander son consentement et sans lui expliquer le but de la manœuvre. Camille ne peut que disposer et écouter sagement la leçon de vie qui vient de lui être inculquer. Camille est infantilisée, sous couvert de mentorat. Et ce schéma paternaliste, qui se pose en sauveur est malsain. Je n’ai pas du tout été séduite par leur relation.

Mes mots sont flagrant: mes valeurs féministes en ont pris un coup ! Je pense qu’il va falloir que je me plonge à corps perdu dans « Sorcière » de Mona Chollet pour m’en remettre !

En résumé, je ne conseillerai pas ce roman à une amie. Encore moins à un ami.

Passe une écriture un peu simpliste, passe les facilités scénaristiques. Mais l’image dégradé de la femme, je n’adhère pas. Encore plus pour un livre de notre époque, encore plus lorsque c’est écrit par une femme et encore plus sur un livre traitant de développement personnel…

J’ai bien compris que l’autrice cherchait à faire passer des messages tels que le dépassement de ses peurs, se recentrer, oser être soi, sortir de sa zone de confort et prendre des risques, être acteur de son changement… Et le fait de passer ces messages à travers une histoire romancé était une bonne idée. Mais, pour moi, c’est raté. Je passe mon tour.

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